La commercialisation du soja au Bénin, un produit important de l’agriculture nationale, est au cœur d’une vive controverse, notamment en ce qui concerne les nouvelles mesures prises par le gouvernement et l’interprofession pour la campagne agricole 2024-2025. En effet, la mise en place d’une fiche de convoyage du soja des champs vers la maison soulève scepticisme et méfiance sur le terrain, chez les producteurs et dans les marchés villageois.
Malik SOULEMANE
Depuis l’adoption d’un décret en 2023 exigeant la mise en place d’une fiche de convoyage pour tout chargement de soja, la situation s’est tendue entre les producteurs, les commerçants et les autorités publiques. Une mesure qui, selon les acteurs du secteur, est perçue comme un frein au bon déroulement de la campagne et un obstacle à la libre commercialisation de ce produit. L’introduction de ce décret pris par l’État en 2023 a en effet donné naissance à de vives discussions. Celui-ci impose aux acteurs de la filière soja de se rapprocher des unités douanières pour récupérer des fiches de convoyage avant toute opération de commercialisation. Ce dispositif, qui était censé réguler et organiser la filière, n’a pas été bien accueilli par l’ensemble des parties prenantes, notamment les producteurs et certains commerçants. Steeve Adjaman, président de l’Union nationale des coopératives de producteurs de soja (Uncps), a expliqué lors du grand direct de la radio Sêdohoun d’Agbotagon le 10 décembre 2024, que la controverse autour de cette mesure réside avant tout dans l’interprétation de cette nouvelle régulation. Selon lui, « ce que les gens disent un peu partout, c’est par rapport au décret qui a été pris en 2023 par l’État qui demande aux gens de faire le rapprochement avec des fiches que nous devons aller prendre au niveau des douanes ». Une exigence qu’il qualifie de mal comprise par certains, mais qu’il justifie par le besoin d’organiser la filière après l’absence d’une interprofession claire jusqu’alors. Le président de l’Uncps a également tenu à rappeler que la problématique ne venait pas des producteurs eux-mêmes. « Ce ne sont pas les producteurs qui crient. Nous, nous ne savons pas quel intérêt ils ont », a-t-il affirmé, soulignant que les producteurs de soja étaient prêts à coopérer si la mesure était bien expliquée et si elle avait un sens pour eux.
Les commerçants et l’absence d’un dispositif de soutien
La problématique soulevée par Steeve Adjaman met en lumière une autre difficulté : l’absence d’un dispositif de soutien efficace pour les commerçants de soja. Selon lui, « ce qu’on a refusé, c’est qu’on a dit que les commerçants ne vont plus rester dans le dispositif parce qu’ils ne prennent aucun risque avec les acteurs. » Ce point semble être un des principaux moteurs de la polémique.
Un climat de méfiance
Le climat autour de cette nouvelle réglementation semble tendu sur le terrain, notamment dans la commune de N’Dali, une zone agricole où la culture du soja est particulièrement développée. Les producteurs de la localité, comme Djobo, un producteur de soja, ont exprimé leur scepticisme face à ces mesures, les qualifiant de « non réalistes et inopérantes sur le terrain ». Il ajoute qu’ils « n’en tiendront pas compte » et qu’il s’agit uniquement « d’un effet de communication », laissant entendre que la mesure risquait de ne pas avoir d’impact concret sur les pratiques agricoles locales. Pourtant, certains responsables, comme Seidou, président d’une coopérative de producteurs de N’Dali, tentent de calmer le jeu. Selon lui, « nous avons été sensibilisés à intégrer les coopératives, mais les producteurs n’aiment pas qu’on fasse les choses dans la douceur avec eux. Mais cette fois-ci ils comprendront. » Il est clair que, même si certains producteurs sont réfractaires, les autorités tentent d’organiser une transition vers un système plus structuré de commercialisation. Cependant, sur le terrain, la réalité semble différente. Dans les marchés villageois de N’Dali, la mesure semble avoir déjà eu des effets notables : « Aucun grain de soja ne s’y trouve. Tout ce qu’on voit dans les marchés c’est le maïs », constate votre journal. Cette situation soulève des inquiétudes quant à la viabilité de la campagne de soja et à la capacité des autorités à faire respecter leurs mesures dans un contexte où les acteurs du secteur manquent de confiance.
La fiche de convoyage et ses implications
Le décret en question fait référence à une note de service Nds n°0122/Dgd/Dlc du 2 mars 2022, qui stipule que « tout chargement de soja ou de cajou doit être accompagné d’une fiche de convoyage, y compris les opérations de rapprochement ». La fiche de convoyage, gratuite et disponible dans les unités douanières et les organisations faîtières, vise à assurer la traçabilité et la régulation des produits agricoles. Cette note, bien que formulée de manière officielle, semble néanmoins peu comprise par les producteurs et commerçants, qui redoutent sa mise en application effective. La question de la faisabilité et de l’efficacité de cette mesure est donc centrale dans les discussions actuelles. Les producteurs, notamment ceux de N’Dali, expriment leurs doutes sur la capacité des autorités à imposer cette nouvelle règle tout en maintenant un marché libre et fluide.
Une mesure à réévaluer ?
La polémique autour de la commercialisation du soja au Bénin pour la campagne 2024-2025 soulève des questions sur l’efficacité des nouvelles régulations dans un secteur déjà fragilisé par des pratiques informelles et une organisation peu structurée. Bien que le gouvernement cherche à rationaliser et organiser la filière soja, la mesure semble entraîner plus de confusion que de solutions, notamment en raison d’un manque de dialogue entre les autorités et les acteurs locaux. Face à cette situation, il apparaît essentiel que le gouvernement réévalue ses mesures et engage un dialogue plus poussé avec les producteurs et les commerçants. Seul un cadre d’accompagnement plus clair et plus adapté à la réalité du terrain pourrait permettre à la filière soja de se développer de manière durable et prospère.