Peut-on se donner la mort volontairement ? Prendre une échelle depuis la maison et se diriger vers le champ qui devrait normalement porter l’espoir. En sortant de la maison, saluer, certainement, des amis qu’on aurait croisés sur le chemin et s’échanger à coup sûr des vœux les meilleurs de la journée pour les familles respectives et pour le village. Puis poursuivre son chemin vers un destin incertain et funeste sans dire aux autres, même aux siens le projet lugubre qu’on s’en va réaliser dans les minutes qui suivent. Même avant de quitter la maison, le sourire de sa femme et de ses enfants n’a pu donner la joie à ce cœur troublé. Sur le chemin aucun cri strident d’un enfant n’a pu donner goût à la vie. Aucun chant d’oiseau n’a pu faire sauter de joie. Aucune herbe n’a pu ralentir le pied zélé vers l’incertitude. Aucun arbre n’a pu convaincre qu’il peut encore offrir généreusement de l’oxygène pour une vie ravissante. Et même le champ de maïs n’a pu convaincre à son propriétaire qu’il peut encore lui assurer des revenus nobles pour un avenir plus prometteur.
Apparemment ce 08 août 2024 tout a brillé en noir à Tchakaou Pèhoun dans l’imaginaire de ce vaillant cultivateur. Même ses 55 années d’existence sur cette terre n’ont pas pu indiquer une lueur d’espoir ce jour-là. Le vaillant cultivateur a profité de l’indifférence de Tchakaou Pèhoun voire de Djougou et du Bénin à son quotidien pour s’engouffrer dans la fatalité. Impavide, il porta cette échelle non pas pour l’utiliser pour visualiser l’avenir avec un nouveau regard ; non pas s’en servir pour pouvoir grimper et contempler la vaste étendue de son champ de maïs qui porte en lui-même l’espoir de la nation tout entière. Malheureusement il s’en est servi pour se percher sur le gros arbre de son champ avec une grande corde comme chaîne au cou pour révéler la beauté de la laideur de cet acte. Peut-être qu’il pensait que comme son quotidien, son suicide laisserait Tchakaou Pèhoun indifférent. Djougou indifférent.
Le Bénin où le suicide s’impose de plus en plus comme une alternative au désespoir indifférent. Non son suicide ne peut laisser personne indifférente. « Tout d’abord, ils ont constaté sa disparition. C’est la famille qui s’est réveillée très tôt et ne l’a pas vu dans la maison. Et ils se sont mis à sa recherche » a réagi le Chef de l’arrondissement de Pélébina contrairement à ce que la victime aurait pensé. Se pendre au milieu de l’espoir, un vaste champ de maïs, laissant derrière soi femme et enfants, c’est tout simplement ineffable. Mais en questionnant Emile Durkheim, il nous apprend que le suicide diffère du fait biologique, qu’il diffère surtout du fait psychologique parce qu’il est extérieur à l’individu et qu’il trouve son origine dans la société.
Malik SOULEMANE