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INTERDICTION D’EXPORTER DES CÉRÉALES AU NIGER: Une mesure nécessaire mais controversée

Face à une situation climatique difficile et des défis croissants en matière de sécurité alimentaire, le Niger a pris, le 16 octobre 2024, la décision d’interdire l’exportation de plusieurs céréales de base pour protéger son marché intérieur. Alors que cette mesure vise à garantir l’accès des Nigériens à des denrées essentielles, elle suscite des interrogations sur ses conséquences économiques et ses effets à long terme sur les agriculteurs.

Ulrich DADO TOSSOU

Le Niger vient de franchir une nouvelle étape dans sa lutte pour la sécurité alimentaire en interdisant, le 16 octobre 2024, l’exportation de plusieurs céréales essentielles. Cette mesure drastique vise à stabiliser le marché intérieur et à garantir un accès suffisant aux denrées de base pour la population, alors que le pays fait face à des défis climatiques sans précédent.

Face aux inondations qui ont ravagé près de 189 000 hectares de terres agricoles depuis juillet 2024, le gouvernement nigérien a dû agir pour éviter une crise alimentaire, selon le rapport ecofin du 18 octobre 2024. Le mil et le sorgho, deux des principales cultures du pays, ont été particulièrement touchés, et une diminution significative des récoltes est redoutée. Selon les données du Département américain de l’agriculture (Usda), la production annuelle moyenne du mil et du sorgho s’est élevée respectivement à 3,1 millions et 1,9 million de tonnes entre 2019 et 2023, des chiffres qui pourraient chuter cette année, révèle le même rapport.

C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé l’interdiction d’exportation des céréales telles que le riz paddy, le riz blanchi, le mil, le sorgho, le niébé et le maïs. Cette décision s’inscrit dans une volonté de préserver les ressources alimentaires pour la consommation locale, afin de prévenir une flambée des prix et des pénuries sur les marchés domestiques.

Si le Niger a bloqué les exportations vers la plupart des pays, il a toutefois exempté deux de ses alliés stratégiques : le Burkina Faso et le Mali. Ces trois nations, membres de l’Alliance des états du sahel (Aes), partagent des liens sécuritaires et économiques forts. En pleine reconfiguration géopolitique, ces pays cherchent à renforcer leur coopération face aux multiples crises qu’ils traversent.

Cependant, cette exception pourrait poser des problèmes d’exécution sur le terrain. Les frontières avec le Burkina Faso et le Mali, poreuses, pourraient faciliter la contrebande et rendre difficile le contrôle des flux de céréales vers d’autres pays, malgré les restrictions. De plus, ces exemptions interrogent sur l’équilibre que le Niger devra maintenir entre solidarité régionale et protection de son propre marché intérieur.

L’une des fragilités structurelles du secteur agricole nigérien réside dans sa dépendance aux importations, notamment pour le riz. Alors que la demande annuelle en riz blanchi s’élève à plus de 500 000 tonnes, le Niger ne parvient à produire que 83 000 tonnes localement, le reste étant importé. La Stratégie nationale de développement de la riziculture (Sndr), lancée en 2022 pour remédier à ce déficit, peine encore à porter ses fruits, rendant la situation plus complexe.

En bloquant les exportations, le Niger tente de contrôler la consommation intérieure, mais il devient clair que la dépendance à l’importation pour des produits essentiels comme le riz met en lumière les limites de cette stratégie. Si des efforts ne sont pas rapidement fournis pour booster la production locale, notamment par des investissements dans l’irrigation et la modernisation des techniques agricoles, la situation pourrait devenir encore plus délicate.

Si cette interdiction vise à protéger les consommateurs nigériens, les agriculteurs, eux, risquent d’en faire les frais. Nombreux sont ceux qui dépendent des revenus générés par les ventes transfrontalières. Le blocage des exportations pourrait affecter leur pouvoir d’achat, en particulier si la surabondance des stocks entraîne une baisse des prix sur le marché local. Les mesures de soutien à l’agriculture doivent donc être renforcées pour compenser les pertes financières éventuelles.

De plus, des inquiétudes subsistent quant à la gestion des stocks par l’Office des produits vivriers du Niger (Opvn), chargé de récupérer les cargaisons des contrevenants. Si la gestion est défaillante, cela pourrait non seulement affecter les disponibilités alimentaires, mais aussi encourager la spéculation et la hausse des prix.

En interdisant l’exportation de céréales, le Niger tente de prévenir une crise alimentaire majeure, dans un contexte climatique et économique difficile. Bien que cette décision soit motivée par la volonté de garantir un accès équitable aux denrées de base, elle soulève de nombreux défis, tant pour les agriculteurs que pour la gestion du marché local. À long terme, la solution réside dans un renforcement des capacités de production locale et une meilleure gestion des ressources agricoles, afin de réduire la dépendance aux importations et stabiliser durablement le secteur.

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